En avant, marche (nordique) !
- Détails
- Catégorie : Revue de presse
Ouvrir les yeux à 8 heures un samedi matin, l'exploit mériterait à lui seul une pleine page dans ce journal. D'autant qu'il n'est même pas huit heures, puisqu'il est moins dix, soit exactement la température qu'indique le thermomètre de l'autre côté de ma fenêtre. Ne pas retourner sous ma couette dans ces conditions, l'exploit mériterait à lui seul une deuxième pleine page dans ce journal. Si je m'apprête à sacrifier une grasse matinée et une partie de ma santé en allant braver le froid polaire d'aussi bonne heure, c'est qu'un autre exploit m'attend : je vais apprendre à marcher. Mais de manière nordique.
Je profite de cette tribune pour remercier les chefs du service Sports du de m'avoir offert la chance de m'initier à la marche nordique. Marcher est pour moi une activité à peu près aussi naturelle qu'elle peut l'être pour une anguille, un hippocampe ou Franklin Delano Roosevelt à la fin de sa vie. Malgré les tentatives parentales de m'y convertir lors de longues balades vosgiennes au Champ du feu ou à la Rothlach, la marche occupe aujourd'hui une solide dernière place dans ma hiérarchie des modes de déplacement urbain, derrière le scooter, le métro, le bus, le Vélib', le taxi, le skate, l'auto-stop, la trottinette et le moonwalk.
Bon, allez, puisqu'elle implique l'usage d'une paire de bâtons, la marche nordique évoque presque moins la randonnée que le ski de fond, pour peu que l'on fasse abstraction de l'absence de skis, bien sûr. Les fondeurs qui ont inventé ce sport dans les années 1970 le pratiquaient afin de pouvoir s'entraîner en été. Direction Joinville-le-Pont (ligne 2 + RER A, je ne vais quand même pas y aller à pied), c'est parti pour une session de marche nordique. De, dit-on en version originale, car l'activité nous vient de Finlande. Les conditions climatiques et le paysage gelé qui m'accueillent au bois de Vincennes correspondent à l'idée que je me fais de la Laponie. En avant, marche (nordique) !« sauvakävely »
Le regard circonspect de mes compagnons de promenade, tous armés de combinaisons de ski, au moment où ils découvrent mon short (en coton) et mon collant (en coton) m'amène à la conclusion que, soit eux, soit moi, quelqu'un s'est trompé de tenue ce matin. L'échauffement n'a pas encore commencé, je ne sens déjà plus le bout de mes doigts. Peut-être serait-il judicieux que j'enfile mes gants (en coton). Ah, au temps pour moi, je les ai déjà aux mains. Bien. Heureusement que la séance ne dure pas deux heures. Ah, au temps pour moi, on m'apprend que la séance va durer deux heures. Très bien.
Claude Leroy, pas l'ancien entraîneur des Lions indomptables mais le sympathique coach sportif diplômé d'Etat, se dévoue pour accompagner mes premiers pas de marcheur nordique, qui sont en fait des premiers pas de marcheur tout court, puisqu'il s'agit d'abord de mettre un pied devant l'autre en laissant traîner sur le sol les bâtons auparavant harnachés à ses poignets, et de bien régler le mouvement de balancier des bras. Dans un second temps, on agrippe les bâtons sur lesquels on prend appui pour se propulser, en prenant soin de bien déplier le coude en arrière pour de ne pas les ramener trop rapidement vers soi.
Assez vite, je chope le coup. Je prends confiance. J'allonge la foulée. Ça y est, je vole de mes propres ailes. Enfin, je marche nordiquement de mes propres jambes, sous les yeux que je devine rieurs des joggeurs qui me croisent. Car oui, si vous êtes sensible à l'idée d'élégance en toutes circonstances, autant que vous le sachiez avant de poursuivre la lecture pour rien : il est absolument impossible de ne pas avoir l'air con en marchant de la sorte.
En revanche, il est absolument possible de trouver cela agréable quand même. On s'habitue naturellement à sa nouvelle condition de quadrupède, et à la sensation de vitesse qu'elle entraîne. De fait, avec des bâtons, on avance plus rapidement. De temps à autre, je me laisse décrocher par le groupe pour le seul plaisir de placer une accélération fulgurante et de me prendre 0,00000001 G dans l'estomac (chiffre non contractuel). Au fil des minutes, j'atteins des vitesses vertigineuses : 5,5, 6, 6,5, 7 km/h ! Malheur à l'imprudent promeneur ou à son chien qui se trouverait sur mon passage. Lorsque ma propre célérité m'étourdit, je lève les bâtons pour retrouver une allure normale (4 km/h), mais j'ai alors la désagréable impression de faire du surplace.
Une série d'exercices balisent notre parcours : marche en côte, exercice dit du « Schtroumpf » (une sorte de cloche-pied assisté par les bâtons) ou encore marche américaine, c'est-à-dire en file indienne et avec prise de relais, ultime manoeuvre du jour, qui nous amène jusqu'à un coin de prairie ensoleillé, notre terminus. L'air de rien, je viens de marcher l'équivalent de porte de Clignancourt-porte d'Orléans en une heure et demie, à peine trois fois moins vite qu'un métro de la ligne 4.
Jeunes lecteurs du pas encore trentenaires - catégorie à laquelle j'ai la chance d'appartenir pour encore un an et demi -, je ne vais pas vous mentir : on a connu sport plus rigolo. Jeunes lecteurs du déjà plus trentenaires mais pas encore octogénaires - catégorie à laquelle appartiennent la totalité de mes camarades de promenade -, sachez que j'en suis presque venu à regretter de ne pas avoir vingt ans de plus, à entendre leurs témoignages exaltés sur les bienfaits de la marche nordique. Ce n'est pas pour le seul plaisir de tenir des bâtons que quelque 8 millions de marcheurs dans le monde (aux dernières nouvelles) se sont mis au, qui a des airs de sport idéal.
explique Claude Leroy, Plus que sa cousine traditionnelle, la marche nordique améliore également les capacités cardio-vasculaires et, les bâtons ôtant.« Comme, avec les bâtons, on n'est plus sur deux mais sur quatre appuis,80 % de la masse musculaire est mobilisée, parce que vous faites travailler le haut et le bas du corps en même temps. Cela va notamment tonifier le dos, la colonne va être mieux maintenue, ce qui va ouvrir la cage thoracique, et donc améliorer l'efficacité respiratoire. »« 20 % du poids du corps sur les articulations, c'est bénéfique pour les gens qui ont des problèmes d'arthrose »
Je n'en suis pas encore à ce stade réjouissant de l'existence, mais, comme tout le monde, avant de clore la séance, je me livre à une série d'étirements. Pas franchement agréable, mais indispensable pour éviter les douleurs musculaires le lendemain. Les étirements s'avèrent autrement plus efficaces contre les crampes que mon uniforme de coton contre le froid : 24 heures plus tard, je n'ai pas l'ombre d'une courbature, mais je suis victime d'un rhume catastrophique qui va me plomber pendant une semaine. Marche ou crève ? Pas réussi à choisir : j'ai eu l'une et l'autre.
Henri Seckel